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[su_dropcap style= »simple » size= »7″]C[/su_dropcap]ette révolution découle des deux principes précédemment évoqués, la simplification et la communication. Elle va les renforcer. Les guerres du XVe siècle vont accélérer le progrès : le premier texte imprimé est celui des Indulgences papales de 1454 à 1455, dont le but est de récolter de l’argent pour lutter contre les Turcs. Dans les dix premières impressions figurent un « calendrier turc » (vers 1456), deux versions d’une « Bulle du pape contre les Turcs » (1456-1457) : ouvrages liés au conflit des Balkans.

1. L’invention de la typographie

Ce n’est pas Gutemberg qui invente l’imprimerie. Les Romains avaient créé des caractères indépendants pour apprendre à lire : pour « stimuler l’étude des enfants », Quintillien suggère de leur donner des types de lettres en ivoire. La xylographie (impression à partir d’une planche gravée) existe déjà. Elle est cependant insuffisante pour répondre aux besoins des particuliers et, surtout, des universités en plein essor à la même époque. Le savoir sort des monastères pour entrer à l’école. Mais Gutemberg l’améliora nettement et, surtout, inventa la typographie, c’est-à-dire la composition de textes à partir de caractères fondus en alliage métallique, mobiles et réutilisables. Ses premiers travaux typographiques copient les petits livrets et les grammaires latines que l’on gravait auparavant sur planches de bois ; ils étaient réalisés avec un caractère encore maladroit : le DK-type. L’invention géniale de Gutenberg se déroule en trois temps

 

  1. A l’extrémité d’une tige d’acier très résistant, on grave en relief un caractère à l’envers : c’est le poinçon [I].
  2. Par pression, on enfonce ce poinçon dans un métal plus doux : du cuivre [2]. Le caractère est alors inscrit en creux et à l’endroit dans cette matrice [3].
  3. On coule dans cette matrice (que l’on a positionnée dans le moule manuel de fonderie) un métal encore plus doux : du plomb [4].
  4. Au démoulage, on obtient le caractère en plomb, en relief et à l’envers [5], et on en moule ainsi de grandes quantités. Il faut répéter cette opération pour chacune des lettres minuscules, pour chacune des lettres capitales, pour chacun des signes de ponctuation, pour chacun des chiffres.
  5. Chaque caractère fait donc l’objet d’un bloc de plomb indépendant qui s’appel « type » [6].

Gutenberg a eu encore à réaliser un long travail de précision pour mettre au point industriellement les largeurs de ses types (pour régler les approches entre chaque caractère), leur hauteur (pour que les surfaces imprimantes des caractères se trouvent sur le même plan horizontal) et bien d’autres détails techniques qui en découlaient. Des notions qui restent importantes pour tous les métiers de l’écrit : l’édition, le journalisme, etc. Certains sont toujours en vigueur.

« Quelles sont les similitudes entre un graveur de poinçons des débuts de l’imprimerie et un créateur de caractères du XXIe siècle ? Pour matérialiser sa création, le premier disposait entre autres d’un burin, tandis que le second maîtrise deux ou trois logiciels informatiques spécifiques. Leurs savoirs semblent très éloignés, pourtant, chacun doit posséder parfaitement la structure de la lettre, avoir appris à regarder un caractère, à analyser ses composantes… »

L’aventure des écritures, BNF

Il fallut mettre au point une recette d’encre assez grasse pour tenir sur le métal et assez fine pour ne pas « engraisser » les caractères à l’impression.

L’invention de Gutemberg fit l’effet d’une bombe dans les pays européens. L’invention de l’imprimerie a lieu à une période où les besoins de la société croisent les moyens dont elle dispose. Très vite, dans cette moitié du XVe siècle, se créent des ateliers de typographie et d’imprimerie un peu partout : Strasbourg (1460), Subiaco près de Rome (1464), Bâle et Augsbourg (1468), Venise (1469), Nuremberg et Paris (1470), Lyon (1475), Anvers, Westminster…

L’humanisme, qui caractérise la Renaissance, et la Réforme protestante, qui lui est contemporaine, n’auraient jamais pu atteindre leur niveau d’expansion sans ce nouvel outil qui permet une grande diffusion des idées par l’imprimé, à un prix abordable. Les « hérésies » cathares et albigeoises, trois siècles plus tôt, qui n’eurent pas cette chance et pour cause, furent exterminées.

Au XVe siècle, l’écriture « humanistique » s’inspire des manuscrits des Xe et XIe siècles qui relatent les textes classiques. Elle se développe en Europe du Sud – principalement en Italie –, puis en France à la Renaissance. Avec les innovations techniques, l’avènement des grammaires, la typographie va se développer et évoluer très vite, beaucoup plus vite que par le passé en tout cas. C’est dans ce contexte qu’en 1470, le Français Nicolas Jenson, installé  va créer une des plus belles lettres qui servira de modèles à de nombreux graveurs, la lettera antiqua formata.

A Venise, berceau de la Renaissance, alors qu’il est précepteur de Pic de la Mirandole, Alde Manuce  constate la qualité médiocre des éditions des textes classiques. En 1489, il ouvre une imprimerie à Venise et se consacre à la littérature latine, à la philosophie grecque.

En 1501, il invente l’italique (à gauche) en cherchant à reproduire l’écriture courante de la chancellerie de son époque.

Il imprime également un des plus beaux incunables : Le Songe de Polyphile, roman allégorique de Francesco Colonna. Privilégieant les petits formats, il invente en quelque sorte le livre de poche.

2. Le bon vouloir des rois et empereurs

En 1529, le Français Geofroy Tory écrit Le Champ fleury , un laborieux ouvrage traitant des proportions des lettres capitales, dessinées en rapport avec celles du corps humain. Nous sommes en pleine Renaissance et les artistes, au contact de la médecine et des naturalistes, cherchent à établir des vérités interdépendantes voire anthropomorphiques, entre nature et production humaine. Ainsi Tory veut absolument se convaincre de l’existence de proportions divines qui régissent les formes humaines et alphabétiques. Ces théories n’ont pas laissé une grande empreinte. Mais il participe au courant (qui entraîna aussi les Estienne et les Garamond) qui tend à établir une orthographe adaptée à la prononciation et à « mettre en ordre » la grammaire du français. Il participe notamment à l’introduction de l’usage des accents, de la cédille et de l’apostrophe.

Le Champfleury, traité de calligraphie et de typographie dont les proportions sont calculées à partir du corps humain.

2.1 François Ier et le garamont

En 1539, François Ier promulgue l’édit de Villers-Cotterêts qui stipule que le français, alors simple langue vernaculaire, devient langue officielle et remplace le latin. Tout reste à inventer : la ponctuation, l’orthographe, l’accentuation car jusqu’alors le français n’avait pas eu l’occasion d’être étudié du point de vue de son expression typographique (il n’avait quasiment jamais été imprimé). C’est encore une décision politique qui va faire avancer l’écriture. Il s’agit de créer de nouveaux caractères pour rénover une typographie rustique humane. Ces nouveaux caractères doivent servir la volonté politique de transmission du savoir sous le règne de François 1er. Ils sont l’adaptation graphique parfaite pour la transcription de la langue française que les grammairiens, tel Robert Estienne, commencent alors de régir. Le Caslon, qui répond aux nécessités de transcription de la langue anglaise, est créé en Angleterre à la même époque. C’est donc dans ce contexte que Claude Garamont (qu’on écrit aussi Garamond à cause de son pseudo Garamondus) va créer le romain de ce célèbre caractère, qui porte son nom (1544), bientôt suivi de l’italique inspiré des travaux de Manuce.

Garamont romain
Garamont italique
Caslon
Ils sont l’adaptation graphique parfaite pour la transcription de la langue française. Garamont grave également, toujours pour François Ier, des caractères grecs, appelés « Grecs du Roy » dont les poinçons sont conservés à l’Imprimerie nationale et ont été classés monuments historiques en 1946. Les fontes de Garamond ont été les premières à être commercialisées. Entre 1541 et 1556, plusieurs imprimeurs-fondeurs lui achetèrent des matrices. Le XVIe siècle a connu de très grands graveurs et imprimeurs : Francesco Griffo en Italie, Robert Estienne et Robert Granjon en France, Christophe Plantin (Français devenu citoyen d’Anvers) et ceux de la famille Elzévir en Hollande, William Caxton en Angleterre… Leurs noms sont restés et ont souvent donné leur nom à des polices de caractère.

2.2 Louis XIV et le romain du roi

En 1631, Théophraste Renaudot lance son bureau d’adresses puis La Gazette de France : ce sont les débuts de la presse. A la sortie des guerres de religion, qui ont perturbé l’Europe et, du coup, l’imprimerie, Richelieu fonde, en 1640, l’Imprimerie royale. Il marque ainsi la volonté de l’État de soutenir le livre. Louis XIV va continuer cette politique à travers Colbert, qui lance en 1675 le projet de l’encyclopédie dont les premiers travaux vont porter sur l’imprimerie. Le roi reproduit là un phénomène que nous avons déjà vu. Pour célébrer son pouvoir et son rayonnement, il souhaite voir inventer de nouvelles formes typographiques.  

Il commande une lettre – le romain du roi – dont l’absolue beauté se doit de surpasser la qualité des productions hollandaises de l’imprimerie ­Plantin à Anvers et de rayonner sur toute l’Europe, à l’instar de son mentor. Ce défi est confié au graveur Philippe Grandjean qui s’inspire de l’étude imposée de l’abbé Jaugeon. Ce dernier veut plier la lettre à la géométrie, à l’image de l’architecture du palais de Versailles.
La lettre d’imprimerie, jusque-là construite sur des fondements manuscrits et calligraphiques, se trouve précisément dessinée avec règle et compas. Ainsi emprisonnée, la lettre semble refléter les exigences d’un règne codifié à l’extrême. Le Grandjean, plus souvent appelé Romain du roi répond à près d’un siècle d’absolutisme.

Heureusement, les travaux de gravure de Grandjean adaptent intelligemment ces règles nouvelles, parfois impossibles à respecter sans outrager celles, fondamentales, de l’œil et de l’équilibre des formes, de sorte que ce caractère si marquant de son époque constitue la référence d’une bonne part de la typographie moderne : les Baskerville, Didot, et Bodoni lui doivent beaucoup.

Exemple de romain du roi imprimé.
Premier ouvrage publié avec le Grandjean ou romain du roi en 1702.
Le baskerville dessiné en 1757 par John Baskerville à Birmingham en Angleterre.

La famille Didot

François Ambroise Didot, fils de François, libraire et éditeur de l’abbé Prévost, est imprimeur-typographe. Il introduit en France l’usage du papier vélin, met au point l’usage d’une presse métallique à bras et invente le point didot. Il entreprend la gravure de poinçons que son fils Firmin continuera pour créer le Didot, sur la demande de Napoléon Ier qui veut substituer au « Romain du Roi » un « Romain de l’Empereur ». Un autre fils de François, Pierre François, crée un des premiers codes typographiques à l’usage des correcteurs.

Jusqu’au XIXe siècle, chaque génération de Didot apportera son savoir-faire et de nombreuses innovations techniques à l’industrie papetière, à l’imprimerie et à la typographie.

Source : L’Aventure des écritures

 
 

2.3. Les didots de Napoléon

 

Autre exemple, la création des didots. Pouvait-on en effet imaginer typographier pour l’Empereur comme on le fit pour les rois Louis XV et Louis XVI ? Il importait donc d’imaginer la typographie de l’Empire, révélatrice des préoccupations de l’époque nouvelle et de ses évolutions de style : stricte, intellectuelle, logique et respectueuse du Canon.

Les polices Didot sont reconnaissables grâce à leur très grand contraste entre pleins et déliés (déliés extrêmement fins), la verticalité des caractères et leurs empattements horizontaux et fins. Leur apparition doit beaucoup aux progrès de la technique. La maîtrise de la typographie au plomb, associée à l’amélioration des techniques d’impression permet l’usage d’une lettre caractéristique par ses jeux de graisses et de contrastes entre déliés et pleins. Et l’invention du papier velin, en Angleterre par Baskerville, permet l’impression de ces caractères délicats.
Comme toujours dans l’évolution des écritures, l’esprit du temps est fortement présent dans les graphismes, l’écriture et la typographie. L’élaboration du Code Civil, qui tend à organiser la société française, induit en typographie l’avènement d’un rythme particulier extrêmement régulier. Ainsi, le didot, adopté sous l’Empire, puis sous la Restauration, s’étend rapidement aux démocraties du monde entier grâce à ses formes épurées et l’autorité naturelle qui se dégage de son graphisme fait de formes pures, d’intersections de lignes se croisant à angle droit, de pleins et de déliés fortement opposés.

Le didot est utilisé à l’Imprimerie impériale pour l’impression des Cérémonies du sacre de Napoléon ainsi que pour l’impression des grands textes de Racine, Boileau, La Fontaine, etc. Adopté par les romantiques pour l’opposition marquée des différentes parties qui le composent, il contribue à la propagation de la nouvelle littérature. Par ailleurs, le XIXe siècle offre de nouvelles possibilités d’expression à travers la publicité et l’affiche : l’exagération possible des contrastes du caractère Didot permit le passage d’une typographie uniquement liée au texte à une typographie d’avantage liée à la visibilité et au choc optique.

Bibliographie