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Liste de noms propres. Tracée sur du calcaire, cette tablette pictographique sumérienne date de la fin du IVe millénaire. By Villamota

Dans l’histoire de l’humanité, l’écriture est récente. L’homme utilise un langage articulé depuis quelque cent mille ans, il n’écrit que depuis un peu plus de cinq mille ans. L’essor du commerce, l’urbanisation font naître de nouveaux besoins : listes comptables ou lexicales, répertoires, traces administratives, marques de propriété. Et ces besoins trouvent leur réponse dans l’écriture.

Différents systèmes d’écritures sont nés sous des formes diverses à des époques distinctes dans de nombreux endroits du globe : Mésopotamie, Egypte, Chine, Amérique Centrale, etc. Elle apparaît presque simultanément en Egypte et en Mésopotamie, à environ 3 500 ans avant notre ère.

Les premières formes sumériennes, souvent des actes ­commerciaux, étaient pictographiques – à un signe, un dessin écrit correspond une idée –, et on n’a pas toujours réussi à en percer le secret.

Le génie de la civilisation sumérienne a été, en quelques siècles, de passer du simple pictogramme à la représentation d’une idée ou d’un son :

par exemple, le signe qui ­reproduit à l’origine l’apparence de la flèche (ti en sumérien) prend la valeur phonétique ti et la signification abstraite de « la vie », en même temps que sa graphie se stylise et, en s’amplifiant, ne garde plus grand chose du dessin primitif.

Pour ce faire, elle a eu recours au principe du rébus, qui consiste à représenter un mot ou une syllabe par le pictogrammes d’une chose dont le nom ressemble au mot ou à la syllabe. Par exemple, représenter le verbe « être » par le pictogramme d’un hêtre. En quelque sorte, à chaque fois qu’on fait un rébus, on réinvente l’écriture.

C’est le principe du rébus qui a permis le dépassement décisif des limites inhérentes du pictogramme dans sa fonction de représentation de la langue.

Apparemment, l’écriture est née au même moment en Mésopotamie et en Egypte. Cela dit, il semble bien que la naissance de l’écriture alphabétique qui est la nôtre, soit ­géographiquement localisée, vers le IIe millénaire avant Jésus-Christ, dans une région qui correspond aujourd’hui au Proche-Orient et soit une évolution de l’écriture égyptienne.

Zones où seraient nées les premières écritures

Son évolution a été poussée par deux facteurs puissants : la démocratisation – et le nécessaire besoin de simplification – et le besoin d’une communication précise et durable.

1. le besoin de simplification

Ecriture et démocratie sont intimement liés. Mais pour qu’elle devienne accessible à tous, l’écriture doit absolument se simplifier. Premier exemple avec l’écriture égyptienne.

1.1. Des hiéroglyphes à la démotique

Dans l’Egypte antique (3000 avant JC), la grammaire est très compliquée et le vocabulaire riche. L’écriture, les hiéroglyphes, gravée dans la pierre, sert avant tout à transcrire des textes sacrés ou officiels et elle est réservée aux élites cultivées. Elle n’est donc pas à la portée de tous.

Parallèlement aux hiéroglyphes, un autre type d’écriture apparaît : l’écriture hiératique (ou cursive). Plus simple et moins travaillée, calligraphiée, elle permet de rédiger plus rapidement des textes.

Elle comporte toutefois, comme les hiéroglyphes, des idéogrammes, des phonogrammes et des déterminatifs. Elle est encore réservée aux scribes, elle leur permet juste de travailler plus vite pour les affaires courantes.

En 650 avant J-C, une autre écriture cursive se développe, encore plus simplifiée : l’écriture démotique. Cette nouvelle forme d’écriture n’est plus réservée aux scribes et sa « simplicité » va lui permettre de s’étendre à d’autres couches de la population. Notamment aux commerçants.

Hiéroglyphes sur le masque funéraire de Toutankhamon. Photo dinosoria.com

Ecriture cursive (ou hiératique) extrait du Livre des Morts Paris BNF.
Ecriture démotique – Acte de location Thèbes – 534 avant J.-C. (Musée du Louvre).
La démocratisation de l’écriture est une notion importante. En permettant la diffusion du savoir, elle se lie intimement à la chose politique et à la démocratie.

1.2. Les Phéniciens et le premier alphabet

Les Egyptiens auraient pu inventer un premier alphabet. Mais ce sont les peuples sémitiques et, parmi eux, les Phéniciens qui, les premiers, ont élaboré une écriture alphabétique d’une vingtaine de symboles phonétiques non figuratifs inspirés par les écritures démotiques et cunéiformes.

 

Exemple d’écriture phénicienne découverte sur le sarcophage d’Ahiram, à Byblos
Ils retenaient le premier son de la forme tracée : ainsi, du tracé de la tête de bœuf (aleph), ils retinrent le son A (A comme Aleph) ; du tracé du plan d’une maison (Beth), ils retinrent le son B et ainsi de suite pour donner 22 lettres de leur alphabet consonantique (sans voyelles).

Cet alphabet est apparu autour des années 1100 avant JC. L’écriture allait de droite à gauche, comme encore à notre époque l’arabe et l’hébreu, deux autres langues sémitiques, « cousines germaines » de la phénicienne.

Cet alphabet, d’utilisation bien plus simple que toutes les écritures antérieures, constitua un progrès gigantesque qui mit l’écriture à la portée du plus grand nombre. Les Phéniciens l’ont démocratisée.

Yves Perrousseaux, Manuel de Typographie française élémentaire, ateliers Perrousseaux éditeurs
Les marchands navigateur phéniciens qui sillonnaient la Méditerranée ont exporté leur alphabet. Il en existait certainement d’autres à la même époque, mais celui-ci se révéla être le plus simple. Et il a donc pris le pas sur tous les autres.

C’est un autre grand principe de l’écriture, comme de la langue d’ailleurs : aller au plus simple.

1.3. L’apport des Grecs

C’est ainsi que cet alphabet a conquis la Grèce aux alentours de 900-800 avant JC. Mais la langue grecque était complètement différente des langues ­sémites, il n’était plus possible de faire concorder la signification graphique des lettres avec leur valeur phonétque : on ne pouvait plus dire A comme aleph puisque le bœuf ne se dit pas aleph en grec.

Mais ils ont gardé la représentation graphique des lettres et en ont perfectionné les formes. Ils en ont fait des symboles phonique abstraits, déconnectés de leur signification sémitiques. Par contre, ils ont retenu les noms sémitiques. Ainsi, alpha vient d’aleph, bêta est issu de beth et gamma de ghimel, chameau.

Yves Perrousseaux, Manuel de Typographie française élémentaire, ateliers Perrousseaux éditeurs
Enfin, pour traduire avec précision l’articulation des divers dialectes parlés dans leur pays, les Grecs ont inventé les voyelles.

L’écriture grecque s’écrivait aussi de droite à gauche. Quand il s’est agit d’écrire à la main, on a pris l’habitude d’inverser le sens de l’écriture et donc aussi d’inverser le sens des lettres. Il y a même eu une période intermédiaire où l’on écrivait une ligne dans un sens et la suivante dans l’autre. Une écriture appelée boustrophédon qui signifie en grec « qui imite la marche du bœuf au labour ».

Yves Perrousseaux, Manuel de Typographie française élémentaire, ateliers Perrousseaux éditeurs

2. le besoin de communication

Le fait que l’écriture se soit ainsi propagée dans tout le pourtour de la Méditerranée a permis de comprendre la puissance politique de la communication.

Jusqu’aux Romains, l’écriture servait à communiquer et à vendre. Les Romains s’en sont servi pour gouverner et assoir leur empire. Ils ont imposé le latin et son écriture dans tous les pays conquis.

Partie de la table claudienne, 1er siècle de notre ère. L’apport des Romains : lisibilité, visibilité, beauté. Yves Perrousseaux, Manuel de Typographie française élémentaire, ateliers Perrousseaux éditeurs

C’est devenu un magnifique outil pour imposer leur culture, faire leur propagande, etc. Bref, une véritable volonté politique de communication.

Pour rendre leurs textes plus lisibles, ils ont séparés les mots entre eux (16), la plupart du temps avec un point. Pour rendre visibles leurs messages, ils ont

– sur tout ce qui était à hauteur d’homme, les stèles par exemple, gravé les messages en petits caractères.
– sur tout ce qui était en hauteur, en haut des monument ou des arc de triomphe, ils ont augmenté la taille des lettres, la largeur et la profondeur de la gravure, au fur et à mesure de l’éloignement du lecteur.

La lisibilité et la visibilité sont deux préoccupations majeures pour toute personne qui manipule des textes. L’efficacité de la mise en page en dépend.

Partie de la table claudienne, 1er siècle de notre ère. L’apport des Romains : lisibilité, visibilité, beauté. Yves Perrousseaux, Manuel de Typographie française élémentaire, ateliers Perrousseaux éditeurs

Du pictogramme à la lettre capitale, l’évolution de l’écriture est gigantesque mais ce n’est que le début. L’histoire de l’écriture est toujours en train de s’écrire et des innovations majeures vont ­encore la bouleverser avant d’arriver jusqu’à nous.

Bibliographie